jeudi 19 avril 2012

Soyons corporate

J'ai une soeur chanteuse connue sous l'alias KatMay.
Objectivement, elle est très talentueuse. Subjectivement bien plus que ça.
Elle sort son premier E.P entièrement autoproduit (c'est une tradition familiale l'autoproduction) et c'est un bien bel objet esthétique et musical.
Il est disponible ici: http://katmay.com/mapetiteboutique
Son univers visuel et onirique est peuplé d'arbres bienveillants et de feu-folets. Voici deux clips réalisés pour la promotion de l'E.P pour en découvrir plus:







Si vous aimez ce qu'elle fait, vous pouvez le lui faire savoir sur Facebook, Twitter, ou tout simplement en faisant tourner ses vidéos et en répandant sa musique sur la toile.
Merci d'avance pour elle.

Promis je retrouve mon cynisme après cette page de pub.


jeudi 5 avril 2012

C'était mieux quand j'allais mal

J'ai arrêté de fumer, j'ai perdu cinq kilos, j'ai signé un contrat d'édition, je met des chemises, je repeins mes rêves en blanc, j'ai ma carte d'électeur...
Putain je me dégoûte et j'arrive plus à écrire.
Finalement les mauvaises habitudes me rendent meilleur.

En espérant que ça me foute un coup de pied au cul, je livre au monde le prologue de mon roman qui n'en fini plus de ne plus se finir.


PROLOGUE

ENZO
ITALIAN DELIVERY BOY

La lanière de sécurité de son casque lui cisaillait le cou et Enzo la desserra d’un geste sec. L’air frais du matin, chargé de particules fines lui emplit les poumons, contrastant avec le feu qui lui brûlait les mollets à chaque coup de pédale. Mais Enzo ne pouvait pas ralentir, il était déjà en retard. Sans avoir à regarder sa montre, il en était conscient et redoubla d’efforts.
La playlist de son I-pod switcha des Primal Scream à un bootleg de Galvanize des Chemical Brothers, ce qui lui impulsa une nouvelle énergie. Le soir précédent, le DJ du Fabrik avait passé la même chanson et Enzo se souvint avoir explosé sur la piste et avoir bondi dans tous les sens.
Un cab lui coupa la route et Enzo l’évita, non sans gratifier le gros cafard noir d’un coup de pied sur l’aile, ce qui déclencha la colère du conducteur et un tonnerre de klaxon. Mais Enzo était déjà passé et doublait à présent un bus arrêté sur le bord de la route. Il s’approcha du croisement de Bank et anticipait déjà le bordel qui l’attendait 500 mètres plus loin.
Bank, 8h du matin. Pandemonium.
En arrivant depuis Cornhill, il devrait pouvoir se frayer un chemin entre les voitures bloquées à ce putain de feu rouge épileptique qui rendait fou tout bon londoner depuis l’invention de l’automobile, pour ensuite s’introduire dans le flot provenant de Threadneedle St et de Lombard St.
Remonter Poultry serait un jeu d’enfant dès qu’il aurait passé ce carrefour, mais Enzo savait qu’il devrait la jouer fine et surtout ne pas ralentir.
Au loin il aperçut le feu, et renifla un grand coup. Ses narines lui firent mal et la douleur se propagea le long de ses sinus. Ways lui avait vraiment refilé de la C de merde, et Enzo se promit d’engueuler son pusher dès qu’il le reverrait. De toute façon, ça n’aurait pas changé grand chose. Ways avait toujours de la mauvaise came le dimanche et Enzo le savait. La loi de l’offre et de la demande. Ways dealait sa meilleure coke du vendredi au samedi et refilait sa merde aux crackheads du dimanche soir qui allaient s’éclater les tympans sur les basses du Fabrik.
En traversant le carrefour, lancé à pleine vitesse, il ne prit pas le temps de constater la couleur du feu qu’il venait de griller. En entendant une voiture piler sur sa droite et le klaxonner, il en déduisit que le feu devait être rouge, à la rigueur orange foncé. Ayant grandi à Naples, il avait appris depuis longtemps à faire fi du code de la route et ne se retourna même pas pour regarder l’accident qu’il venait d’éviter.
Au contraire, il pédala de plus belle et monta en danseuse. Devant lui s’étendait Victoria St. encastrée entre deux rangées de bâtiments informes et grisâtres qui défilaient devant ses yeux comme une muraille. Une putain de muraille de Chine. Enzo se sentait mongol aujourd’hui, prêt à partir à l’assaut de cette monstruosité multiforme construite par un peuple de branleurs et que tout le monde s’accordait à appeler London, the great capital of the World.
Il préférait l’appeler Babylone. Mais c’était sa Babylone. Et il en connaissait tous les recoins, tous les chemins de traverse, tous les peuples et toutes les odeurs.
En dépassant un camion de poubelle, il fut frappé par la puanteur qui s’en dégageait.
Londres daube la mort aujourd’hui, pensa-t’il avant de s’engouffrer entre deux files de voitures arrêtées.
Il ralentit au croisement de Queen St. avant de continuer tout droit sur Cheapside.
Enzo saisit sa gourde remplie de Red Bull et en avala une longue gorgée médicamenteuse qui vint titiller le litre de café déjà présent dans son estomac.
Dans son casque, la musique changea à nouveau et les rythmiques acidulées de Deadmau5 vinrent lui vriller le cerveau. La nuit prédédente, il s’était envoyé une petite polonaise dans les toilettes de la boîte sur la même chanson et au souvenir de cette étreinte, la peau de son gland se mit à l’irriter. Certes, cette polak ne valait pas un pence à côté de l’Espagnole qu’il s’était envoyé tout le reste de la nuit, mais il avait quand même trouvé ça excitant de lui coller la tête contre la lunette dégueulasse des toilettes pendant qu’il la prenait en levrette. Il se gratta les couilles, mais cela ne fit qu’accentuer la sensation de démangeaison.
Après avoir dépassé St Paul’s Cathedral et ses touristes matinaux, il déboula sur Newgate St. et longea le Merryll Lynch Financial Center. Toutes ces banques et ces compagnies d’assurance qui étalaient leurs richesses et leur pouvoir dans cette capitale du Dieu Argent provoquaient un profond dégoût chez lui. Il ne supportait plus de voir les tours de la City qui perçaient le ciel comme des phallus géants.
Sur Newgate, la route était plus large et le trafic moins condensé que sur Cheapside, ce qui lui permit de relâcher un peu sa concentration. Enzo ralentit pour se donner le temps de regarder sa montre.
8h10.
Il avait déjà 5 minutes de retard et Holborn, sa destination, était à une bonne dizaine de minutes. Son boss allait encore lui gueuler dessus, pour la cinquième fois ce mois-ci.
Umut, ce gros connard de turc, n’avait rien d’autre à foutre que de hurler constamment sur ses coursiers, avachi dans son box en grignotant des Cheesy Puff à longueur de journée. Enzo savait déjà qu’il allait y avoir droit, car le client avait déjà du contacter l’agence pour se plaindre et il coupa l’émetteur de son talkie-walkie pour s’éviter la rage d’Umut. Il savait qu’il pouvait dire adieu à sa prime de la semaine.
Il ravala un glaire qui mit longtemps à couler le long de sa gorge. En avalant sa salive pour faire passer le goût, la sensation de manque l’assaillit. Ways lui avait vraiment refilé une coke merdique, et il sentait maintenant le sang taper dans ses tempes au rythme de la musique. Si la redescente le frappait aussi tôt, Enzo savait qu’il lui faudrait toute la journée pour s’en remettre.
Avec un coup de pédale rageur, il doubla toute une rangée de cabs arrêtés au feu du croisement de Farringdon. En levant les yeux, il vit la masse grise et mouvante des nuages qui le surplombait. Le soleil de Naples lui manquait. La plage, la mer, la sensation de n’avoir rien d’autre à foutre que d’être là pour profiter de la vie. Enzo essaya de ne pas y penser, de ne pas laisser la nostalgie l’envahir, mais les images de sa ville natale continuaient à défiler devant ses yeux. La sua Napoli, c’était surtout la misère, la crasse, le poids de la Famiglia, pensa-t’il avant de se reconcentrer sur la route.
Il contourna Holborn Circus en inclinant légèrement son vélo pour suivre une trajectoire fluide avant de redonner un coup de pédale et de s’engager dans High Holborn. La musique changea à nouveau et les derniers soubresauts de Deadmau5 furent remplacés par la B.O de Requiem for a Dream remixée par Clint Mansell. Enzo croyait se souvenir l’avoir virée de sa playlist, mais il ne la changea pas malgré qu’il la trouvât trop commerciale.
En doublant le 25, il réprima un sourire. Ce bus avait été son meilleur compagnon de soirée pendant les trois années qu’il avait passé à Londres. Il continua à rouler tout droit le long de cette avenue dont tous les bâtiments lui évoquaient de gros gâteaux écoeurants.
Devant lui, plusieurs voitures et quelques bus pilaient au milieu de la rue, sans raison apparente. Enzo savait qu’il n’y avait pas de feux rouges jusqu’au croisement d’Holborn et de Kingsway, 500 mètres plus loin. Il ralentit un peu, par précaution, mais ne s’arrêta pas. Il vit du coin de l’oeil les conducteurs des voitures sortir de leurs véhicules et plusieurs passagers se vomir d’un bus arrêté et courir en tout sens, tandis qu’il s’engageait déjà sur la buslane couleur brique. Enzo sentit que quelque chose n’allait pas, mais il était déjà trop en retard pour pouvoir se permettre le luxe de réfléchir.
Il posa juste le pied à terre, le temps de se déporter sur la gauche et de monter sur le trottoir pour dépasser le bus par l’intérieur. En tournant la tête pour comprendre ce qui avait pu créer une panique si manifeste chez les passagers, Enzo n’eut que le temps d’apercevoir un homme dressé, les paumes tournées vers le ciel, au milieu du bus vide.
Le souffle de l’explosion propulsa Enzo contre la vitrine blindée de la Lloyds TSB, et il sentit tous les os de son corps éclater sous le choc, avant de perdre connaissance et de s’étaler sur le sol comme une poupée de tissu.